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S’offrir la Lune : du statut juridique de l’unique satellite naturel terrestre de la Terre

 

 

     Actuellement premier et unique objet non terrestre déjà foulé par l’Homme, appelée parfois Terre I, d’un diamètre moyen de 3474 kilomètres et séparée de notre planète par 381 500 kilomètres soit une distance infime à l’échelle de l’Univers, la Lune est un corps céleste qui ne cesse de faire l’objet de convoitises chez l’Homme. En témoigne la récente actualité en exploration spatiale concernant sa face cachée, prise pour la première fois en photo par Luna 3 en 1959 mais surtout dans la date clé du 3 janvier 2019, jour où la sonde spatiale Chang’e 4 de nationalité chinoise s’est posée sur sa face cachée, dans le cratère lunaire Von Karman.

 

     Juridiquement, la Lune est « res nullius », littéralement la chose de personne. Personne, en premier lieu les Etats, ne peuvent la détenir ou y prétendre. Ce concept existe déjà sur Terre, puisqu’il est appliqué pour la haute mer (une zone située à maximum 200 milles nautiques soit 370,4 kilomètres des côtes), au-delà de la limite extérieure des zones économiques exclusives (ZEE). C’est aussi le cas de l’Antarctique. Pour mieux comprendre ce que représente la Lune au regard du droit spatial, il est question de s’interroger sur les grands principes qui l’entourent et leurs limites.

 

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Le lanceur géant Saturn V, ici avec la fusée de la mission Apollo IV, est le lanceur le plus puissant jamais créé. Les missions Apollo de la NASA avaient pour but d'envoyer des astronautes sur la Lune. A noter pour la petite anecdote que le Vehicle Assembly Building, conçu pour l'assemblage de Saturn V est un building tellement vaste que, les jours d'humidité...des nuages de pluie se forment à l'intérieur du bâtiment. Crédit photo: NASA. 

Principe de non appropriation de la Lune

 

 

  • Un principe forgé par la Guerre Froide et consolidé par le Traité de l’espace de 1967

 

     De tous les droits fondamentaux, celui de propriété, défini à l’article 544 du Code civil français comme le « droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements » est probablement celui le plus universel. On le retrouve par exemple à l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, à l’article 17 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 ou encore au protocole n°1 article 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

 

     Ce droit de propriété, lorsqu’il a été conçu, l’a été en des temps où l’espèce humaine ne songeait pas réellement à vouloir se rendre dans l’espace et encore moins pouvoir se poser sur la Lune. Alors qu’en est-il concrètement d’un possible droit de propriété sur la Lune par les individus ? Le droit international public va apporter une réponse à ces questions, et ce par des traités. Tout d’abord, le Traité sur les principes régissant les activités des Etats en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, raccourci tout simplement au Traité de l’espace, adopté le 19 décembre 1966 par la Résolution 2222 de l’Assemblée générale des Nations Unies et entrée en vigueur en 1967 énonce en son article II le principe suivant :

 

 L'« espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, ne peut faire l’objet d’appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie d’utilisation ou d’occupation, ni par aucun autre moyen »

 

     Pour comprendre ce principe, il faut replacer le Traité dans son contexte historique : en pleine Guerre Froide entre Etats-Unis et URSS, celle-ci menaçait de se dérouler symboliquement dans l’espace, dernière frontière. Créer un instrument international de façon à calmer les deux puissances voulant asseoir leur soft-power en envoyant des objets terrestres dans l’espace semblait donc tout sauf superfétatoire pour la communauté internationale. Et cela était même nécessaire, à la vue du vent de panique provoqué par le lancement du satellite Spoutnik 1 le 4 octobre 1957 par l’URSS. Ainsi, le principe de non appropriation permettait de calmer sur le papier les démonstrations de force de grandes puissances.

 

     Cependant, il est important de noter que le Traité de l’espace de 1967 dispose en son article I que l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique comme sur la Lune par exemple sont autorisées. Non appropriation certes, mais la Lune n’est pas un objet céleste interdit à l’Homme s’il souhaite s’y aventurer. Il n’existe pas de discrimination en théorie entre Etats selon leur stade de développement économique ou scientifique, puisque l’exploration et l’utilisation de ces espaces sont selon le même article « l’apanage de l’humanité tout entière ». Derrière cette jolie formule se révèle l’idée que ce principe est bel et bien universel et le propre de l’Homme.

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Mission Apollo 15: première EVA (sortie extra-véhiculaire) pour Jim Irwin et le Rover lunaire le 31 juillet 1971. Faire du wheeling, bien que tentant dans un cadre pareil, aurait bien sûr relevé d'une grossière erreur qui aurait coûté des dizaines de millions de dollars. Crédit photo: NASA. 

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  • L’étendue de l’autorisation d’exploration et d’utilisation de la Lune

 

     Ce principe de non-appropriation de la Lune fut par la suite complété par un autre instrument international, à savoir l’Accord régissant les activités des Etats sur la Lune et les autre corps célestes du 5 décembre 1979, et entré en vigueur le 11 juillet 1984. Son champ d’application est vaste : en effet le principe de non-appropriation de la Lune couvre sa surface, son sous-sol, une partie quelconque ainsi que ces ressources naturelles. Non-appropriation signifie-t-il pour autant par exemple qu’un Etat partie ne peut récupérer de la matière lunaire ? Non, comme en témoigne l’Accord en son article 6, les Etats parties ont le droit de recueillir sur la Lune des échantillons de minéraux ou autres substances. La non-appropriation est aussi dirigée envers un grand nombre d’acteurs potentiels  de la conquête lunaire notamment en son article 11 alinéa 3, qui s’adresse aux Etats, Organisation internationales gouvernementales, organisations internationales non-gouvermentales, organisations nationales, entités gouvernementales et personnes physiques.

 

    Ainsi, lorsque la mission Apollo 11 a atterri sur la Lune en 1969 (le terme d’atterrissage sur la Lune est bel et bien celui correct, celui d’alunissage un peu plus fantaisiste), les Etats-Unis n’ont certainement pas de facto assis leur souveraineté étatique sur la Lune. Si demain Blue Origin ou Space X se posent sur la Lune et y déclarent une prétendue souveraineté, elle n’aura aucune valeur au regard du droit spatial. Que peuvent donc alors faire les Hommes sur la Lune ? L’article 11 alinéa 3 de l’Accord de 1979 en dresse une longue liste qui comprend entre autres:

  • installer à la surface ou sous la surface de la Lune des personnels, véhicules, matériels, stations…

  • explorer et utiliser les ressources naturelles de la Lune

 

     A noter que l’Accord prend soin en son article 7 de rappeler aux Etats parties qu’ils doivent éviter de « perturber l'équilibre existant du milieu en lui faisant subir des transformations nocives, en le contaminant dangereusement par l'apport de matière étrangère ou d'une autre façon. Les Etats parties prennent aussi des mesures pour éviter toute dégradation du milieu terrestre par l'apport de matière extra-terrestre ou d'une autre façon ». S’aventurer sur la Lune certes, mais en limiter l’empreinte des activités humaines.

 

Principe d’utilisation pacifique de la Lune

 

  • La prévention d’éventuels risques de conflits armés dans l’espace

 

    Sans grande surprise, ce principe trouve également sa source dans la Guerre Froide et la volonté de ne pas transformer l’espace et ses corps célestes en zone de guerre. Le traité de l’Espace de 1967 disait d’ailleurs joliment que ce dernier est l’apanage de l’humanité toute entière : à partage commun, responsabilité commune. Son article IV énonce que les Etats parties utiliseront la Lune et autres corps célestes exclusivement à des fins pacifiques. Ainsi, sont interdits sur les corps célestes d’aménager bases et installations militaires et fortifications, essais d’armes de tous types et exécution de manœuvres militaires. Mais cependant l’utilisation de personnel militaire à des fins de recherches scientifiques ou tout autre fin pacifique n’est pas interdite, ce qui reste logique.

 

     Il faut cependant noter une certaine nuance à ce principe d’utilisation pacifique : en son paragraphe 1 de l’article IV, le Traité énonce : « Les États parties au Traité s’engagent à ne mettre sur orbite autour de la Terre aucun objet porteur d’armes nucléaires ou de tout autre type d’armes de destruction massive, à ne pas installer de telles armes sur des corps célestes et à ne pas placer de telles armes, de toute autre manière, dans l’espace extra-atmosphérique. ». La Lune, bien que comprise implicitement dans les corps célestes, n’est pas mentionnée explicitement ici. Pourtant, régir les activités comprenant des armes nucléaires et armes de destruction massive est primordial pour garantir la paix et la sécurité internationales aux yeux de l’ONU. Cette ambiguïté probablement volontaire du paragraphe, où la Lune serait une sorte de chat de Schrödinger, à la fois comprise et non comprise dans ce principe, fût par la suite heureusement levée dans le traité de 1979 en son article III paragraphe 4, mentionnant explicitement la Lune. La frontière reste cependant fine entre l’exploration et l’exploitation de la Lune par des militaires et son utilisation à des fins militaires : exploration et exploitation ne pourraient-elles pas basculer rapidement dans une optique belliqueuse ?

 

  • Respect des instruments internationaux asseyant ce principe

 

     Vient alors cette question cruciale : les traités et accords régissant le rapport de l’Homme à la Lune sont-ils appliqués par les acteurs concernés, en premier lieu les Etats ?

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En vert, les Etats ayant signé et ratifié le Traité de l’Espace de 1967. En jaune, ceux l’ayant signé seulement. Crédit image: ONU. 

 

     A première vue et de manière assez surprenante, les grandes puissances de ce monde, comme la Russie, les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne ainsi que l’Allemagne ont signé et ratifié ce traité. C’est également le mode de fonctionnement de ce traité qui est intéressant : les activités dans l’Espace doivent obtenir une autorisation préalable émanant de l’ONU, et la surveillance permanente de l’État membre concerné par ce traité. Cependant, le traité en question est parfois remis en cause par des acteurs étatiques. C’est le cas aux Etats-Unis où le SPACE Act de 2015, axé vers l’industrie minière ainsi que le vol spatial privé énonce que les citoyens américains ont la possibilité d’entreprendre l’exploration et l’exploitation commerciales des ressources spatiales. Bien que les Etats-Unis affirment ne pas imposer quelconque souveraineté, règne ou droit exclusif ainsi que la possession d’un corps céleste comme la Lune par exemple, c’est sans aucun doute une fragilisation du principe de non-appropriation du satellite. En effet, autoriser et permettre à des entreprises privées d’utiliser à des fins commerciales des ressources spatiales ne serait-elle pas l’expression déguisée d’une certaine souveraineté étatique ?

 

     Qu’en est-il du respect de l’Accord régissant les activités des Etats sur la Lune et les autres corps célestes de 1979 ? Là encore, sur 18 parties à l’accord, seules 11 l’ont signé. Pire encore, les Etats étant en capacité de se rendre dans l’espace ont pris le soin de ne pas ratifier cet accord. C’est par exemple le cas de l’Inde ou de la France qui ont simplement signé l’Accord. Les Etats-Unis et la Russie ne sont même pas présents à cet Accord. De ce bilan quelque peu décevant sera retenu que la Lune reste un objet de convoitise permanent de la part des Etats. L’intérêt suscité par celle-ci est exponentiel, en témoigne le développement des acteurs privés souhaitant son utilisation à des fins commerciales dans un futur proche.

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     Pour aller plus loin :

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  • Espace : la loi du plus fort sera toujours la meilleure, Philippe Achilleas, Pour la science, n°460, 27 janvier 2016

  • Le traité de 1967 et son application en matière d’utilisation militaire de l’espace , Simone Courteix,  Politique étrangère, n°3,1971

  • L’accord régissant les activités des Etats sur la Lune et les autres corps célestes, Simone Courteix ,annuaire français de droit international, Editions du CNRS, 1979

  • Droit spatial, Mireille Couston, Editions Ellipse, 2014

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