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Pérégrinations de tardigrades dans l’espace : et ensuite ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un tardigrade en milieu aquatique, également appelé ourson d’eau. Le biologiste Lazzaro Spallanzani inventa cette désignation en 1776, à partir du latin « tardus gradus », à savoir « marcheur lent ». Crédits photo : eyeofscience.de

 

     L’information aurait pu éclore de l’esprit d’un auteur de science-fiction mais elle s’avère bien réelle : on a envoyé des tardigrades sur la Lune. En effet, en avril dernier, la sonde israélienne Beresheet a échoué dans sa mission en s’écrasant sur la surface lunaire. Israël a donc manqué l’exploit de devenir la quatrième nation, après les Etats-Unis, la Russie et la Chine, à se poser sur la Lune. Quelques mois plus tard, début septembre, l’Inde faillit à son tour lors de la perte du contact de la sonde Chandrayaan-2 avec son atterrisseur Vikram. Cependant, Beresheet présentait des particularités bien intéressantes : en effet, la sonde transportait, sous l’impulsion de l’association à but non-lucratif Arch Mission Foundation, la quasi-totalité de Wikipédia en anglais mais, surtout, un millier de tardigrades.

 

     Derrière ce nom farfelu se cache l’une des espèces vivantes les plus fascinantes. D’une longueur d’un peu plus d’un millimètre, le tardigrade peut survivre dans un environnement d’une température allant de -272 degrés Celsius jusqu’à plus de 100 degrés. Son anatomie est telle qu’il peut résister au vide spatial, tout comme aux rayons X ou ultraviolets. Mieux : sans eau et sans nourriture, il est capable d’entamer une cryptobiose, à savoir réduire considérablement l’activité de son métabolisme pendant plusieurs années afin de se protéger des conditions difficiles ; le tardigrade se vide alors de toute son eau pour la remplacer par un sucre ; ainsi, son métabolisme fonctionne à 0,01 % de sa normale ; il se réveille sous l’effet d’une réhydratation. Dans le cas de la sonde israélienne, placés en cryptobiose, les tardigrades ont été plongés pour la mission lunaire dans de l’ambre artificielle. Or, si Beresheet s’est bien écrasée, on ne connaît l’état de son contenu: impossible de vérifier si les tardigrades ont survécu ou non. Cette expérience fait d’ailleurs écho à une autre impliquant cette fois la Chine : en janvier dernier, cette dernière avait réussi à poser sur la face cachée de la Lune Chang’e 4. A son bord, des pousses de coton avaient pu pousser au sein d’une biosphère, avant d’être visiblement vaincus par le gel.

 

     Derrière cette expérience possiblement ratée concernant les tardigrades, plusieurs questions se posent: envoyer des organismes vivants sur un astre céleste est-il raisonnable ? Le droit spatial permet-il ce type d’expérience ? Quel contrôle pour ce type de mission si elle s’avère un succès ?

 

De la possibilité de réaliser des expériences dans l’espace

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L’astronaute Andrew Morgan, lors de l’expédition 60, manipulant le module d’expérimentation MVP (Multi-use Variable-g Platform) à bord de la Station Spatiale Internationale. Ce module permet de réaliser des expériences sur des petits organismes comme des cellules, des cristaux de protéines, des mouches et plantes. Crédits photo : NASA Images.

 

     L’exploration de l’espace s’accompagne logiquement de son exploitation régulière. En témoigne l’existence de la Station Spatiale Internationale qui incarne avant tout un centre de recherches scientifiques où la coopération internationale prime. Les expériences scientifiques servent majoritairement à étudier les réactions du corps humain au temps passé dans l’espace dans l’espoir d’optimiser la qualité de vie des humains aussi bien sur Terre que dans d’éventuelles futures longues missions. Les textes internationaux encouragent d’ailleurs la recherche scientifique dans des termes assez larges, comme le souligne l’article premier du Traité de l’espace de 1967:

 

«  Les recherches scientifiques sont libres dans l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, et les Etats doivent faciliter et encourager la coopération internationale dans ces recherches ».

 

     Les Etats (et possiblement les acteurs privés) sont donc autorisés à mener des recherches scientifiques dans l’espace. La marge de manœuvre ratione loci de ceux-ci semble donc infinie puisque l’article précité pose le principe selon lequel l’espace extra-atmosphérique tout entier peut servir de théâtre aux recherches scientifiques. Ce postulat constitue une aubaine pour les acteurs spatiaux, libres de pouvoir effectuer leurs recherches dans tout l’Univers s’ils le souhaitent.

 

     En second lieu, l’article laisse entendre qu’en termes de recherches scientifiques, la coopération internationale est le mot d’ordre. Fondamentalement, cette coopération n’est pas étonnante dans l’espace : l’exploration spatiale nécessite une coalition des différents Etats en capacité de s’y rendre, mais également la temporisation des éventuels projets au moins trop ambitieux ou potentiellement dangereux pour les humains et les environnements (même si cette dernière hypothèse ne semble actuellement pas réellement crédible et plutôt relever de la science-fiction).

 

Vers une recommandation ou une prohibition de ce type d’expérience ?

 

     Les expériences qui consistent à déposer des organismes ultra-résistants autre part hors de la Terre doivent-elle être recommandées ? Si l’on part d’un postulat relativement pessimiste, en citant la loi de Murphy prise au pied de la lettre: tout ce qui est susceptible d’aller mal, ira mal. Mais l’on peine à envisager ce qui pourrait survenir. D’autant plus que l’état de ces tardigrades naufragés demeure inconnu : ils peuvent n’avoir survécu, ou être en cryptobiose. Dans ce dernier cas, ils ne sortiront de leur état de cryptobiose qu’une fois une réhydratation opérée, ce qui en l’espèce paraît improbable. Toutefois, l’on ne peut nier que de telles expériences présentent un risque de modification inconnu des corps célestes. A ce sujet, l’article IX du Traité de l’Espace énonce le principe suivant :

 

«  Les Etats parties au Traité effectueront l’étude de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, et procèderont à leur exploration de manière à éviter les effets préjudiciables de leur contamination ainsi que les modifications nocives du milieu terrestre résultant de l’introduction de substances extraterrestres ».

 

     Certes, aux dernières nouvelles, la Lune ne comporte aucun organisme vivant qui serait susceptible d’être affecté par les tardigrades. Cependant, quid si des bactéries ou virus étrangers à la Lune (en l’espèce, provenant de la Terre) s’y retrouvent ? Quel impact une prolifération de ceux-ci pourraient-elle avoir sur d’éventuelles futures colonies humaines lunaires ? On le comprend, une meilleure définition et un encadrement plus rigoureux des recherches scientifiques par les conventions régissant les activités spatiales serait à préconiser. Mais là encore, le droit international public se heurte à sa nature même qui l’empêche d’exercer une vraie contrainte sur tous les acteurs spatiaux : il a un caractère contraignant uniquement lorsque les Etats décident de se plier à ses normes, par le biais de signature et ratification de traités et conventions internationales.

 

     Finalement, ce type d’expérience ne montre-t-elle pas à nouveau la propension de l’Homme à vouloir tout explorer et tout exploiter, au grand dam du principe de précaution? Déposer des organismes vivants sur un astre céleste peut également être interprété comme une volonté étatique d’origine d’asseoir une légitimité dans l’espace, voire une certaine souveraineté étatique. Pourtant, l’article II du Traité de l’Espace de 1967 est formel : l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, ne peut faire l’objet d’appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie d’utilisation ou d’occupation, ni par aucun autre moyen. Israël ayant signé en 1967 puis ratifié en 1977 le Traité de l’Espace se doit en théorie de respecter ces principes.

 

     Mais si la Lune tout comme les autres corps célestes ne peuvent faire l’objet d’appropriation nationale, pourquoi persister à vouloir y installer des bases spatiales et autres projets hormis le souhait de vouloir garantir la pérennité de l’espèce humaine dans un futur lointain? Déposer des tardigrades sur la Lune s’assimilerait à la volonté de terraformer Mars, transformer son environnement par l’Homme pour rendre cette planète habitable : en résulteront des modifications du fait de l’Homme, d’une surface, qui en l’occurrence ne peut lui appartenir.

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     Sans grande surprise, l'utilisation d’être vivants autres que des Hommes pour y connaître l’apesanteur voire l’espace a précédé l’envoi d’humains : le premier mammifère à vivre l’apesanteur fut un macaque rhésus du nom d’Albert 1er en 1948 à bord d’une fusée américaine. En 1957, la chienne soviétique Laïka fit même neuf fois le tour de la Terre, suivie trois ans plus tard dans une mission du même Etat par des chiens, lapins, rats, souris, fruits et plantes. Si les expériences de l’époque étaient motivées par la volonté d’asseoir une puissance spatiale auprès des autres Etats, elles ont également servi à étudier la réaction à l’espace sur des organismes vivants.

 

     Indubitablement, ce type d’expérience ne sera pas le dernier dans l’histoire de l’exploration spatiale, notamment au regard de l’explosion des activités spatiales provenant d’agences nationales comme d’opérateurs privés. Le premier pas symbolique de ce mouvement consistait tout simplement... dans celui de de Neil Armstrong sur la Lune le 21 juillet 1969 au cours de la mission Apollo 11 de la NASA.

 

 

 

Sources :

 

- Tardigrade, un animal extraordinaire sur la Lune, France Inter, 13 août 2019

(https://www.franceculture.fr/sciences/tardigrade-un-animal-extraordinaire-sur-la-lune)

 

- L’Inde va tenter de poser une sonde sur la Lune, France TV Info, 6 septembre 2019

https://www.francetvinfo.fr/monde/inde/ce-sera-de-toute-facon-un-exploit-technologique-l-inde-va-tenter-de-poser-une-sonde-sur-la-lune_3606085.html

 

- Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, 1967

http://www.unoosa.org/pdf/publications/STSPACE11F.pdf

 

- Pourquoi réalise-t-on des expériences dans l’espace ?, Agence Spatiale Canadienne

http://www.asc-csa.gc.ca/fra/iss/science/pourquoi-realise-t-on-des-experiences-scientifiques-dans-l-espace.asp

 

-Chiens, chats, singes, poissons... Les animaux et l'espace, une histoire qui finit mal (en général), FranceInfo, 03 novembre 2017

https://www.francetvinfo.fr/sciences/espace/chiens-chats-singes-poissons-les-animaux-et-l-espace-une-histoire-qui-finit-mal-en-general_2448426.html

 

- Une stupéfiante image des plantes que la Chine fait pousser sur la Lune

https://www.sciencesetavenir.fr/espace/systeme-solaire/la-chine-fait-pousser-des-plantes-sur-la-lune_130838

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